ART & BEAUTE
La beauté est un mystère , mais alors, qu’est-ce qui nous pousse à trouver une chose
belle ?
Malgré une démarche
réductrice , à notre corps défendant , nous tenterons , ici, de trouver une
cause originelle possible à l’attrait
qu’exerce sur nous la
beauté,
Selon une définition
classique , une chose est belle
si, au travers d’une expérience sensorielle, elle procure une sensation de
plaisir ou une émotion, un sentiment de satisfaction, …de bien-être, de plaisir
, ou même de bonheur et parfois une extase.
La beauté est naturellement
associée à l’émotion de plaisir.
Cependant, il y a
d’autres attracteurs ( stimuli) qui nous procurent cette sensation de
plaisir : la libido, les enfants,
la famille, l’amour, l’argent, la vérité, le bien, le bonheur, les désirs ou
les besoins de gloire, de domination ou de perfection ou simplement le désir d’être
reconnu etc. et que l’on ne qualifie pas nécessairement, de beau.
Inversement, d’ordinaire
la laideur ne procure pas de plaisir alors que la beauté extérieure le fait. Certains
tableaux de Roger Bacon ou de Picasso font peine à voir.
On parle aussi, de
beautés intérieures ou spirituelles , associées
à des qualités altruistes que je trouve belles chez les autres , les engageant à les cultiver, telles la générosité, la grandeur d’âme, le courage,
la franchise, l’attention… mais il faut bien reconnaître que ces qualités chez autrui me plaise, à toutes fins utiles…
La « beauté du diable » est une beauté extérieure mais qui cache la méchanceté dans
son for intérieur. Notre intérêt égoïste (conatus) nous pousse donc, à la
trouver dangereuse et donc à la fuir.
La sollicitation qui déclenche cette émotion de joie est soit
un stimulus extérieur : une « bonne rencontre » , soit un déclic
intérieur issu de notre expérience passée mémorisée, de notre inconscient ou de notre imagination causant en particulier, la sécrétion interne d’ocytocine.
Plus particulièrement,
qu’elle est la cause profonde, originelle qui rend
la Beauté attractive sinon attirante ? Quel jugement de valeur ?
L’Evolution a engendré
ces attracteurs afin de maintenir en vie , les espèces et les êtres vivants ce
qui n’est pas une cause évidente pour justifier
la Beauté.
Dans « sa volonté
de puissance » Nietzsche nous donne une première clé : « tout jugement
de valeur n’a de sens que dans la perspective de la conservation de
l’individu, d’une collectivité, d’un état d’une foi, d’une civilisation…
Notre
seul « désirence » , ce Désir profond, inconscient et permanent serait donc, selon Nietzsche, de
se sentir d’abord en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
Ouvrant
une parenthèse philosophique pour rappeler
ce qui nous régente en définitive : l’élan vital, la volonté d
puissance, le vouloir-vivre, le conatus.
Spinoza, avant Schopenhauer avait défini, plus généralement le Conatus
qui est, en fait le Désir (DFI) aveugle, fondamental, inconscient, sans objet (Le poète parle de cet « obscur objet du Désir » ),
cette rage de vivre et de survivre, de s’étendre, cet élan
existentiel ou Poussée existentielle qui témoigne du désir
inconscient d’augmenter notre puissance d’exister. Les désirs ciblés ne sont
que les effets du Désir fondamental ou désirence,
L'homme est un être dont la complexité lui
permet de s'étendre beaucoup plus que tous les autres organismes connus.
La joie ou augmentation de notre
puissance d'exister, c'est-à-dire pour un corps de s'étendre malgré la
résistance des autres corps, est épanouissement de notre puissance d'exister.
Plus précisément ,dans
son Ethique III Spinoza définit cet effort le conatus :
« Chaque chose, autant qu'il est en elle,
s'efforce de persévérer dans son être. » Proposition VI
« L'effort par lequel toute chose tend à
persévérer dans son être n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette
chose. » — Proposition VII
Rappelons que la
désirence , l’appétit sans objet se distinguent du désir d’acquérir quelque
chose comme , par exemple le désir d’être reconnu ou le désir de manger du chocolat.
Réduire l’attrait de
la beauté à un instinct de conservation ou d’augmentation de puissance d’agir
peut paraître inadmissible aux esthètes .
Mais dans le conatus spinozien,
il y a deux types d’effort : l‘instinct d’autoconservation (CE) et l’instinct d’expansion. (CE).
L’alphabet grec et les
langues sémitiques commencent par l’Alpha qui représenterait le bœuf donc un
animal élevé pour satisfaire le premier besoin physiologique : la
nourriture.
La deuxième lettre de
ces alphabets est Béta qui signifierait
« la maison » (Beth),
symbole du lieu protecteur.
Or , qu’est-ce que la
beauté pour les jeunes enfants de moins de six ans , proches de la nature ?
Ils sont attirés par
les tableaux , notamment
impressionnistes, aux couleurs vives et variée,
Ils apprécient aussi, les
images d’animaux.
Leurs premiers dessins
évoquent la maison (béta) ou une
silhouette (la mère ?). donc des figures
protectrices.
Nous sommes tous,
comme les fleurs attirées par la lumière protectrice que toutes les
civilisations ont choisi comme Dieu .
Comme nous le verrons
plus loin, le conatus conservatif (CC) est une cause inattendue pour jouir de
certaines beautés. Ou plus précisément
pour amorcer l’habitude renforçatrice de la jouissance de la beauté
Par contre Le conatus expansif
(CE) est la cause majeure de l’attrait répétitif
de la beauté.
C’est la désirence qui
crée la beauté.
Stendhal déclare dans
« De l’amour », :
« La beauté n’est que promesse de
bonheur »
Il s’agit surtout de
voir la raison profonde de ce rapprochement du bonheur et de la beauté, la beauté serait capable d’intensifier
les forces vitales, d’accroître notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et
non dans la mélancolie et la tristesse liée à la laideur.
Quand on écoute J.S.Bach, ou que l’on regarde , par exemple, un paysage
sublime, on ressent parfois un « sentiment océanique » qui se rapporte à l'impression ou à la
volonté de se ressentir en unité avec l'univers (ou avec ce qui est « plus
grand que soi ») parfois hors de toute croyance religieuse…Dans cet état,
on se sent plus fort libéré de la frustration, du manque, du néant…et quand il
n’y a plus de frustration, il n’y a plus d’égo » .[120]
Aussi, cette question rejoint le débat sur la
nature de la beauté, la beauté est-elle capable seulement de nous éviter la
douleur ? Elle n’aurait qu’un pouvoir négatif, et de l’autre, la beauté
aurait des capacités à accroître notre pouvoir de vie. D’une manière plus
générale, c’est le pouvoir sur la vie qui est en question, a t-il un quelconque
effet sur nous, est-il apaisant ou vivifiant ?
Élan existentiel » ou « Poussée
existentielle »
Notre seul
désir profond et permanent serait donc, selon Nietzsche, de se sentir d’abord
en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
En effet, au
minimum, est beau et donc capable de nous faire plaisir ce qui nous
rassure : la symétrie, la répétition, le rythme, l’harmonie etc. :
Un visage
symétrique est souvent jugé beau.
La
répétition d’un motif est souvent appréciée. Schubert y
excelle.
Les accords
dissonants inquiètent ; ils sont proscrits
en musique classique etc.
La Beauté serait donc l’aboutissement d’un processus, mais aussi un commencement , une promesse :
"La beauté n’est que la promesse du bonheur" (Stendhal)
Et l’on retrouve le renversement spinozien : « Si la beauté n’est qu’une promesse du
bonheur, ce n’est pas du tout parce qu’elle promet le bonheur, mais au
contraire parce que l’espérance de bonheur, assure, décrète le beauté ;
La beauté serait capable d’intensifier les forces vitales, d’accroître
notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et non dans la mélancolie et la tristesse
liée à la laideur » (Vandeuren)
Un moyen d’atteindre le beau est de dénombrer ce qui nous donne du plaisir .
Ainsi une
autre façon inattendue, d’arriver au
plaisir donc, dans certain cas à la beauté, est de partir d’un sentiment diffus
de crainte ou de tristesse, qui fait place insensiblement à une vision plus
rose. C’est ce que les neurobiologistes nomment « les processus
opposants » * décrit par Solomon en 1990.
Un poète
français l’avait devancé en 1912 quand il écrivit : « faut-il
qu’il m’en souvienne. La joie venait toujours après la peine ». Les
dictons populaires ne sont pas en reste : « Après la pluie , le beau temps ».
C’est comme
si l’on se frappait la tête à coups de marteau, juste pour sentir le
plaisir quand cessent les coups.
Autrement
dit, on trouve une scène plus belle,
plus gratifiante si elle côtoie (en peinture), ou si elle suit (en littérature)
une scène menaçante ou désagréable.
Je nomme ce
phénomène : « rupture de thèmes ». Ce processus n’est
toutefois pas généralisable.
Donnons des
exemples pour les arts majeurs :
1°.- Pour
la littérature, les beaux romans d’amour ou les romans policiers
fonctionnent en rompant le thème, dans
le temps. Une première partie expose des amours malheureux ou des crimes
affreux. Heureusement l’œuvre qui plait, finit par une deuxième partie réjouissante, une « happy end ».
On nous
objectera que la pièce « Romeo &
Juliette » se termine par deux décès ! Mais le lecteur aura vite
compris que leur bonheur est éternel dans l’au-delà !
2°.- Pour
la peinture, cette rupture doit avoir lieu dans l’espace restreint de la
toile.
Regardons le
célèbre tableau d’Eugène Delacroix(1830) « La liberté guidant le peuple » où l’on voit, en second plan,
la foule menaçante et, en premier plan une jolie femme triomphante, joyeuse
brandissant le drapeau national.
Autre
exemple pictural, « Ulysse et les Sirènes » (H.J.Draper 1909) où l’on
voit en second plan, le pauvre Ulysse attaché au mât de son bateau pour ne pas
rejoindre les jolies sirènes avenantes que l’on voit au premier plan ;
3°.-Dans
le théâtre tragique, l’exposition des comportements blâmables causes du
drame sert à purifier les spectateurs ,
à les « purger » des passions
(catharsis). La pièce sera jugée belle si l’effet en est le perfectionnement du
spectateur, soit en terme spinozien, l’augmentation de sa puissance d’être ou
Conatus CE.
3°.- Pour
l’architecture, la symétrie d’un bâtiment nous rassure et nous pouvons le
trouver beau. Par contre, nous aurons tendance à trouver laid une bâtisse de
guingois que l’on ressent menaçante, inconsciemment.
4°.- Pour
la musique, qu’est ce qui nous pousse à aimer une œuvre musicale ?
Le plaisir
vient de la fin d’une attente. Toute phrase mélodique s’écoute dans l’attente
de l’accord final qui est en général l’accord parfait sur la tonique.
La musique
est ATTENTE et toute attente dénote une crainte qui s’évanouit avec
l’occurrence de cette tonique.
5°.- Pour
l’art de la conversation, citons la structure des traits d’esprits. On a
remarqué que l’humour le plus efficace avait lieu lorsque l’énoncé de la blague
était composé de deux parties, la seconde obéissant à une logique paradoxale en
regard de la première. Un bon mot doit présenter une rupture de logique qui
surprenne ; (cf. Rupture de thèmes)
Par exemple
l’énoncé de Woody Allen, « L’éternité,
c’est long, surtout vers la fin ! » est composé d’une première
partie plutôt angoissante, c-à-dire la longueur de l’éternité, confrontée à la
seconde partie plutôt réjouissante et parfaitement contradictoire avec la
notion d’éternité. Ou encore :
« - Tu as aimé sa pièce ? demande un
confrère à Marcel Achard.
- Non, pas beaucoup. Il
faut dire que je l’ai vue dans de mauvaises conditions : le rideau était levé. »
Dans
quelques œuvres d’art, un certain mal-être ou
crainte est suivi ou côtoie un
soulagement agréable qui fait aimer et
trouver belle cette œuvre d’art.
Sincèrement,
puis-je trouver belle une situation où je me sens en danger ? Imaginez-vous, à bord d’un bateau de
croisière longeant les admirables côtes de la Corse. Vous serez rempli de
bonheur.
Par contre,
imaginez-vous à l’eau, naufragé, vous épuisant à tenter de rejoindre à la nage,
cette admirable vue, au loin.
Peut-être,
il y aura pour vous observer, des « amateurs d’art » en sécurité sur le bord , qui trouveront
beaux vos efforts désespérés pour atteindre la terre.
Jean-Pierre Barret Chambourcy , décembre 2014
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