dimanche 28 décembre 2014

ART  &  BEAUTE

La beauté est un mystère , mais alors, qu’est-ce qui nous pousse à trouver une chose belle ?

Malgré une démarche réductrice , à notre corps défendant , nous tenterons , ici, de trouver une cause originelle possible à l’attrait  qu’exerce  sur nous la beauté, 
Selon une définition classique , une chose est belle si, au travers d’une expérience sensorielle, elle procure une sensation de plaisir ou une émotion, un sentiment de satisfaction, …de bien-être, de plaisir , ou même de bonheur et parfois une extase.
La beauté est naturellement associée  à l’émotion de plaisir.
Cependant, il y a d’autres attracteurs ( stimuli)  qui  nous procurent cette sensation de plaisir : la libido,  les enfants, la famille, l’amour, l’argent, la vérité, le bien, le bonheur, les désirs ou les besoins de gloire, de domination ou de perfection ou simplement le désir d’être reconnu etc. et que l’on ne qualifie pas nécessairement, de beau.
Inversement, d’ordinaire la laideur ne procure pas de plaisir alors que la beauté extérieure le fait. Certains tableaux de Roger Bacon ou de Picasso font peine à voir.
On parle aussi, de beautés intérieures ou spirituelles ,  associées à des qualités altruistes que je trouve belles chez les autres , les engageant  à les cultiver, telles  la générosité, la grandeur d’âme, le courage, la franchise, l’attention… mais il faut bien reconnaître que ces qualités chez autrui  me plaise, à toutes fins utiles…
La « beauté  du diable » est une beauté  extérieure mais qui cache la méchanceté dans son for intérieur. Notre intérêt égoïste (conatus) nous pousse donc, à la trouver dangereuse  et donc à la fuir.
La sollicitation  qui déclenche cette émotion de joie est soit un stimulus extérieur : une « bonne rencontre » , soit un déclic intérieur issu de notre expérience passée mémorisée, de notre inconscient  ou de notre imagination  causant en particulier, la sécrétion  interne d’ocytocine.
Plus particulièrement, qu’elle est la cause profonde, originelle  qui rend  la Beauté attractive sinon attirante ? Quel jugement  de valeur ?

L’Evolution a engendré ces attracteurs afin de maintenir en vie , les espèces et les êtres vivants ce qui n’est pas une cause évidente  pour justifier la Beauté.
Dans « sa volonté de puissance » Nietzsche nous donne une première clé : « tout jugement de valeur n’a de sens que dans la perspective de la conservation de l’individu, d’une collectivité, d’un état d’une foi, d’une civilisation…
Notre seul « désirence » , ce Désir profond, inconscient  et permanent serait donc, selon Nietzsche, de se sentir d’abord en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
Ouvrant une parenthèse philosophique pour rappeler  ce qui nous régente en définitive : l’élan vital, la volonté d puissance, le vouloir-vivre, le conatus.
Spinoza, avant Schopenhauer avait défini, plus généralement  le Conatus  qui est, en fait le Désir (DFI) aveugle, fondamental,  inconscient,  sans objet (Le poète parle de  cet « obscur objet du Désir » ), cette rage de vivre et de survivre, de s’étendre, cet élan existentiel  ou  Poussée existentielle qui témoigne du désir inconscient d’augmenter notre puissance d’exister. Les désirs ciblés ne sont que les effets du Désir  fondamental  ou désirence,
L'homme est un être dont la complexité lui permet de s'étendre beaucoup plus que tous les autres organismes connus. La joie ou augmentation de notre puissance d'exister, c'est-à-dire pour un corps de s'étendre malgré la résistance des autres corps, est épanouissement de notre puissance d'exister.

Plus précisément ,dans son Ethique III  Spinoza  définit cet effort le  conatus :
« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être. » Proposition VI
« L'effort par lequel toute chose tend à persévérer dans son être n'est rien de plus que l'essence actuelle de cette chose. » — Proposition VII
Rappelons que la désirence , l’appétit sans objet se distinguent du désir d’acquérir quelque chose comme , par exemple le désir d’être reconnu ou le désir de manger du chocolat.
Réduire l’attrait de la beauté à un instinct de conservation ou d’augmentation de puissance d’agir peut  paraître inadmissible aux esthètes .
Mais dans le conatus spinozien, il y a deux types d’effort : l‘instinct d’autoconservation  (CE) et l’instinct d’expansion. (CE).
L’alphabet grec et les langues sémitiques commencent par l’Alpha qui représenterait le bœuf donc un animal élevé pour satisfaire le premier besoin physiologique : la nourriture.
La deuxième lettre de ces alphabets est Béta qui signifierait  « la maison »  (Beth), symbole du lieu protecteur.
Or , qu’est-ce que la beauté pour les jeunes enfants de moins de six ans , proches de la nature ?
Ils sont attirés par les tableaux , notamment  impressionnistes, aux couleurs vives et variée,
Ils apprécient aussi, les images d’animaux.
Leurs premiers dessins évoquent  la maison (béta) ou une silhouette  (la mère ?). donc des figures protectrices.
Nous sommes tous, comme les fleurs attirées par la lumière protectrice que toutes les civilisations ont choisi comme Dieu .
Comme nous le verrons plus loin, le conatus conservatif (CC) est une cause inattendue pour jouir de certaines beautés.  Ou plus précisément pour amorcer l’habitude renforçatrice de la jouissance de la beauté
Par contre Le conatus expansif (CE) est la cause majeure  de l’attrait répétitif de la beauté.
C’est la désirence qui crée la beauté.

Stendhal déclare dans « De l’amour », :
 «  La beauté n’est que promesse de bonheur »
Il s’agit surtout de voir la raison profonde de ce rapprochement du bonheur et de la beauté, la beauté serait capable d’intensifier les forces vitales, d’accroître notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et non dans la mélancolie et la tristesse liée à la laideur.
Quand on écoute J.S.Bach, ou que l’on regarde , par exemple, un paysage sublime, on ressent parfois un « sentiment océanique » qui se rapporte à l'impression ou à la volonté de se ressentir en unité avec l'univers (ou avec ce qui est « plus grand que soi ») parfois hors de toute croyance religieuse…Dans  cet  état, on se sent plus fort libéré de la frustration, du manque, du néant…et quand il n’y a plus de frustration, il n’y a plus d’égo » .[120]

Aussi, cette question rejoint le débat sur la nature de la beauté, la beauté est-elle capable seulement de nous éviter la douleur ? Elle n’aurait qu’un pouvoir négatif, et de l’autre, la beauté aurait des capacités à accroître notre pouvoir de vie. D’une manière plus générale, c’est le pouvoir sur la vie qui est en question, a t-il un quelconque effet sur nous, est-il apaisant ou vivifiant ?
Élan existentiel » ou « Poussée existentielle »
Notre seul désir profond et permanent serait donc, selon Nietzsche, de se sentir d’abord en sécurité poussé par notre instinct de conservation.
En effet, au minimum, est beau et donc capable de nous faire plaisir ce qui nous rassure : la symétrie, la répétition, le rythme, l’harmonie etc. :
Un visage symétrique est souvent jugé beau.
La répétition d’un motif est souvent appréciée. Schubert  y  excelle.
Les accords dissonants inquiètent ; ils sont proscrits  en musique classique  etc.

La Beauté serait donc l’aboutissement d’un processus, mais  aussi un commencement , une promesse :
"La beauté n’est que la promesse du bonheur" (Stendhal)
Et l’on retrouve le renversement spinozien : « Si la beauté n’est qu’une promesse du bonheur, ce n’est pas du tout parce qu’elle promet le bonheur,  mais au contraire parce que l’espérance de bonheur, assure, décrète le beauté ; La beauté serait capable d’intensifier les forces vitales, d’accroître notre potentiel de vie, de vivre dans la joie et non dans la mélancolie et la tristesse liée à la laideur » (Vandeuren)
Un moyen d’atteindre le beau est de dénombrer  ce qui nous donne du plaisir .
Ainsi une autre façon  inattendue, d’arriver au plaisir donc, dans certain cas à la beauté, est de partir d’un sentiment diffus de crainte ou de tristesse, qui fait place insensiblement à une vision plus rose. C’est ce que les neurobiologistes nomment « les processus opposants » * décrit par Solomon en 1990.
Un poète français l’avait devancé en 1912 quand il écrivit : « faut-il qu’il m’en souvienne. La joie venait toujours après la peine ». Les dictons populaires ne sont pas en reste : « Après la pluie , le beau temps ».
C’est comme si l’on se frappait la tête à coups de marteau, juste pour sentir le plaisir  quand cessent les coups.
Autrement dit, on trouve une scène  plus belle, plus gratifiante si elle côtoie (en peinture), ou si elle suit (en littérature) une scène menaçante ou désagréable.
Je nomme ce phénomène : « rupture de thèmes ». Ce processus n’est toutefois pas généralisable.
Donnons des exemples pour les arts majeurs :

1°.- Pour la littérature, les beaux romans d’amour ou les romans policiers fonctionnent en rompant le thème,  dans le temps. Une première partie expose des amours malheureux ou des crimes affreux. Heureusement l’œuvre qui plait, finit par une deuxième partie  réjouissante, une « happy end ».
On nous objectera que la pièce « Romeo &  Juliette » se termine par deux décès ! Mais le lecteur aura vite compris que leur bonheur est éternel dans l’au-delà !

2°.- Pour la peinture, cette rupture doit avoir lieu dans l’espace restreint de la toile.
Regardons le célèbre tableau d’Eugène Delacroix(1830) « La liberté guidant le peuple » où l’on voit, en second plan, la foule menaçante et, en premier plan une jolie femme triomphante, joyeuse brandissant le  drapeau national.

Autre exemple pictural, « Ulysse et les Sirènes » (H.J.Draper 1909) où l’on voit en second plan, le pauvre Ulysse attaché au mât de son bateau pour ne pas rejoindre les jolies sirènes avenantes que l’on voit au premier plan ;

 

3°.-Dans le théâtre tragique, l’exposition des comportements blâmables causes du drame sert à purifier les spectateurs  , à les « purger »  des passions (catharsis). La pièce sera jugée belle si l’effet en est le perfectionnement du spectateur, soit en terme spinozien, l’augmentation de sa puissance d’être ou Conatus CE.

3°.- Pour l’architecture, la symétrie d’un bâtiment nous rassure et nous pouvons le trouver beau. Par contre, nous aurons tendance à trouver laid une bâtisse de guingois que l’on ressent menaçante, inconsciemment.

4°.- Pour la musique, qu’est ce qui nous pousse à aimer une œuvre musicale ?
Le plaisir vient de la fin d’une attente. Toute phrase mélodique s’écoute dans l’attente de l’accord final qui est en général l’accord parfait sur la tonique.
La musique est ATTENTE et toute attente dénote une crainte qui s’évanouit avec l’occurrence de cette tonique.

5°.- Pour l’art de la conversation, citons la structure des traits d’esprits. On a remarqué que l’humour le plus efficace avait lieu lorsque l’énoncé de la blague était composé de deux parties, la seconde obéissant à une logique paradoxale en regard de la première. Un bon mot doit présenter une rupture de logique qui surprenne ; (cf. Rupture de thèmes)
Par exemple l’énoncé de Woody Allen, « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin ! » est composé d’une première partie plutôt angoissante, c-à-dire la longueur de l’éternité, confrontée à la seconde partie plutôt réjouissante et parfaitement contradictoire avec la notion d’éternité. Ou encore :
« - Tu as aimé sa pièce ? demande un confrère à Marcel Achard.
- Non, pas beaucoup. Il faut dire que je l’ai vue dans de mauvaises conditions : le rideau était levé. »
Dans quelques œuvres d’art, un certain mal-être ou  crainte est suivi  ou côtoie un soulagement agréable  qui fait aimer et trouver belle cette œuvre d’art.

Sincèrement, puis-je trouver belle une situation où je me sens  en danger ?  Imaginez-vous, à bord d’un bateau de croisière longeant les admirables côtes de la Corse. Vous serez rempli de bonheur.
Par contre, imaginez-vous à l’eau, naufragé, vous épuisant à tenter de rejoindre à la nage, cette admirable vue,  au loin.
Peut-être, il y aura pour vous observer, des « amateurs d’art »  en sécurité sur le bord , qui trouveront beaux vos efforts désespérés pour atteindre la terre.
Jean-Pierre Barret     Chambourcy , décembre 2014

* Processus opposants : p195, « Voyage extraordinaire au centre du cerveau », par Jean-Didier Vincent, Odile Jacob, Sciences, 2007. «…lorsqu’un stimulus entraîne un état A déplaisant à renforcement négatif, son arrêt provoque l’installation d’un état B plaisant à renforcement positif ...Lorsque, lors d’un premier saut  en chute libre et avant que le parachute ne s’ouvre, les sujets présentent tous les signes de la terreur et de l’anxiété la plus vive dont témoignent leurs yeux révulsés, leur cœur déchaîné, …. Une fois à terre et après une courte période de stupeur, la joie s’épanouit sur leur visage, ils parlent et gesticulent et tout leur corps baigne dans l’euphorie… » Les valeurs de A et B peuvent être inversés : à l’arrêt d’un état agréable, comme après la première prise de drogue ; L’arrêt de cet état agréable est alors suivi d’un état de souffrance  appelé  Manque

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